La revue En Fagnes et Thierache (réalisée par le cercle d’histoire de Presgaux) publie ce mois-ci un petit article sur les aléas météorologiques qui eurent lieu au Domaine Saint Roch entre 1884 et 1918. Ce sont des souvenirs tirés du journal intime de la comtesse Henriette de Villermont.
La revue est disponible dans quelques librairies de la région (La Librairie St Hubert à Pesche, la Librairie Le Papyrus à Chimay, la Librairie Le Furet à Couvin) ainsi qu’à l’Office du Tourisme de Couvin au prix de 4 euros.
Parmi ses souvenirs rassemblés dans son « journal », la comtesse Henriette de Villermont évoque quelques humeurs du temps quand « les saisons étaient bien marquées » (1).
Voici tout d’abord un bref rappel de l’histoire du domaine Saint-Roch (2) à Couvin afin que le lecteur puisse mieux comprendre les événements décrits ci-dessous.

Carte Ferraris
En 1737, un fourneau et une forge y sont construits par les Desandrouin, une famille propriétaire de verreries et houillères dans le pays de Charleroi et en France. En outre, un vaste étang constitue une réserve d’eau fournissant la force motrice. Le trop-plein de celui-ci forme une magnifique cascade.
En 1813, le domaine passe dans les mains d’Hannonet Gendarme qui construit d’autres bâtiments industriels et modernise les forges et fourneau.
Ensuite, l’ensemble appartient aux Licot dont une fille Marie épouse Charles de Villermont en 1847. Ils créeront le parc en 1856.
De tous temps, le patinage sur les étangs gelés était un des plaisirs hivernaux.
(1) Nous avons tenté de démontrer que ce genre d’assertion n’était pas fondé. Voir les revues En Fagnes et Thierache n° 133 à 136 : « Il n’y a plus de saisons ! Les humeurs du temps, jadis et naguère ».
(2) Pour plus de détails à propos de ce bel ensemble, il est conseillé de consulter : « Le domaine du parc Saint-Roch à Couvin », par Jean-Paul Gailly (Office du Tourisme à Couvin. « Le parc Saint-Roch à Couvin, un témoin privilégié de notre histoire », par Pierre Uhlig, revue En Fagnes et Thierache n°187.
17 novembre 1884: « Grande gelée. Après le déjeuner, nous allons essayer la glace. Henri meurt d’envie de patiner. »
Jeudi 4 décembre 1884: « À 5 h du matin, crue subite des eaux. L’étang déborde au-dessus de la digue de la grande charmille. Le jardin potager est sous eaux, la chapelle, l’atelier, les deux écuries sont inondés. La cour est un fleuve. Cet accident est produit par la négligence des gardes qui n’ont pas ouvert les vannes. »
3 janvier 1885: « L’étang est pris, nous pouvons patiner. Jeanne et Madeleine veulent l’essayer, mais les patins sont en si mauvis état que les courroies cassent. »
25 janvier 1891: « À 5 h du matin, on vient appeler Louis. Les glaces arrivent. Craignant un danger immédiat, je me lève et vais voir au pont. Il faisait un demi jour triste, le vent soufflait sans pluie. Un grand feu flambait sous les peupliers ; des espèces de vieilles portes servaient d’abris aux hommes qui venaient reprendre haleine et se sécher un peu. Une douzaine d’hommes étaient aux vannes avec des piques et des masses s’escrimant à briser les blocs de glace de 30 à 40 cm d’épaisseur… Pendant la messe, nous avions entendu une clameur ; c’était les ouvriers qui voyaient arriver une banquise. Hier matin, Couvin était inondé par les ruisseaux venant de Pesche. Le moulin a aussi été rempli d’eau grâce au ruisseau, l’Aine. Toute la matinée, on a mis des cartouches de dynamite de peu d’effet. Tous les ouvriers du fourneau sont venus travailler. Ils étaient plus d’une cinquantaine. Ils s’accrochaient à l’extérieur du pont comme de véritables grappes et avec leurs longues piques brisaient d’énormes glaçons arrivant dans les remous de l’eau. Un hourra était lancé quand de gros blocs de glace étaient brisés, puis on entendait un coup sourd, un vrai coup de canon dans le lointain, c’était le
monstre voltigeant dans la cascade. C’était un entrain du diable. À 2 h, tout Couvin était ici, un vrai spectacle ; vers 4 h, l’arrivée des glaçons diminuait. Le temps se remettait au froid. Dans cette seule journée, on a donné aux ouvriers 11 pains et un tonneau de bière. Le soir, Charles voulait encore 16 ouvriers pour la nuit. Il s’est contenté de 6. Cela amuse bien fort les jeunes. »
25 août 1894: « Effroyable tempête à 4 h du matin. Je me réveille au bruit de chocs violents contre ma fenêtre, le ciel était affreux, strié, noir et blanc, et des éclairs aveuglants. Au même instant, les chocs, comme des pierres lancées contre les carreaux, augmentent, cela devient épouvantable. Une grêle formidable, avec des tapages de mitrailleuses fait voler en éclats tous les carreaux de la façade. C’est un vacarme assourdissant, nous sortons tous de nos chambres. J’allume le cierge bénit de papa, Paul et moi allons chez les sœurs, nous prions N.D. de Consolation. Le marquis et la marquise terrifiés arrivent, les Carlo aussi, c’est comme une trombe de fer qui passe sur Saint-Roch. Au bout de 20 minutes atroces, cela se calme malgré la pluie battante et des coups de tonnerre. Nous allons quasi pieds nus constater mes dégâts. La façade de la maison a presque tous les carreaux cassés, les fleurs sont hachées. Le jardin potager dévasté comme par un troupeau de bœufs. Les fruits sont criblé
s, les serres sont en miettes. Nous ramassons des grêlons gros comme des oeufs de poule, jamais je n’ai rien vu de pareil. Les gens sont consternés. Nous ne sommes pas assurés contre la grêle. Nous nous recouchons à 5 h. Touts les moissons sont détruites, hachées. Couvin n’a plus une vitre. La trombe a suivi la vallée de Chimay, Dailly, Petigny, etc. Mariembourg n’a rien. Nous sommes navrées au milieu de verres, des branches, des feuilles qui jonchent le sol. »
Samedi 30 août 1894: « Fait estimer les dégâts : 4000 francs pour les réparations de la serre par Keymolen, à 10 centimes le carreau. »
Mercredi 25 décembre 1901: « Messe de minuit. Musique assez bien réussie. Le temps était très doux et il pleuvait, le dégel très rapide. Alfred était venu lever les vannes sauf celle de secours. Réveillon très gai. Nous nous couchons vers 2 h. Tout à coup à 6 h ½, on tape à ma porte. Je dors comme un bloc. J’entend la voix d’Ursule qui me dit : ‘’ Mademoiselle, nous allons être inondées, l’eau est dans la cour depuis 5 h ½’’. Je comprends à peine. Je me lève et vais voir à ma fenêtre. Je suis terrifiée. La cour n’est qu’un fleuve furieux. Je m’habille au galop, je sors par la cuisine et vais voir. L’eau bouillonne sous la grande porte, par le chemin des serres et l’allée de la chapelle. Elle arrive en torrent. C’est l’étang qui déborde ! Charles Tagnon part avec les clés de vannes restées dans la tour. Je fais sonner après Alfred que je ne voyais pas. Joseph le domestique essaye de passer la cour s’appuyant sur un bâton ; il recule et manque d’être emporté. Toute la maison se réveille et on arrive, consternés et curieux. Enfin les clés sont aux vannes. Charles Tagnon avait failli être enlevé au pont de 4 sous (3); les eaux baissent.
Durant la période hollandaise, Guillaume 1er est venu visiter les forges de Saint-Roch et de Pernelle à Couvin. Pour obtenir des subsides, Hannonet tente d’impressionner le souverain Hollandais. Dès lors, il fait venir les ouvriers de Pernelle au fourneau de Saint-Roch ; ceux-ci regagnent ensuite leur usine de Pernelle pour la visite de l’après-midi. Pour ce faire, on avait construit un petit pont surplombant l’Eau-Noire à l’arrière du château Saint-Roch. C’est la raison pour laquelle, ce pont fut dénommé « pont à 4 sous ».
Source : « L’industrie du fer au Pays de Couvin sous le régime hollando-belge », par Ernest Solvay, in revue APRS n° 89.
Marie et moi, nous nous précipitons à la chapelle noyée dans une eau boueuse. Toutes les femmes et les gamins se mettent à refouler l’eau. Nous avons nettoyé une partie quand on nous crie : ‘’Sauvez-vous, les eaux reviennent’’ On rebouche la porte au grand galop et nous regagnons la maison en traversant déjà l’eau. Une deuxième fois, la cour redevient un fleuve. Nous étions comme des canards à patauger sur les bords ; nous essayions des passages avec des planches et des poutres, mais tout était balayé par l’eau. Enfin, nous réussissons à passer sans risque de culbutes. Nous gagnons la chapelle ; là, il y a un torrent furieux. Masson nous place un madrier au-dessus, nous traversons Madame Honoré et moi. Au-dessus de la cascade monstrueuse, il y a un nuage d’eau. Impossible de passer par la petite charmille. Jamais on n’avait vu cela. Sur la grand-route, c’est un fleuve qui coule. Vers 11 h, les eaux diminuent. Après le déjeuner, promenade pour aller voir les dégâts. Les chemins sont couverts d’eau ; au moulin, les gens ont dû se sauver au premier étage. Toute la grand-rue a été inondée, les magasins noyés… »
Où sont donc passés les beaux Noël blancs d’autrefois ?
27 décembre 1901: « Après le déjeuner, nous voyons passer le commissaire de police et deux hommes qui regardent le long de la rivière. Nous disons en plaisantant : ‘’On dirait qu’ils cherchent quelqu’un.’’ En effet, Jeanne qui était sortie avec les enfants revient d’un air effrayé. Elle nous annonce qu’en avant du pont de la glacière, arrêté par un buisson, on vient de découvrir le corps d’un malheureux appelé « enfant du midi », disparu depuis l’inondation. On fait appeler le bourgmestre, on retire l’infortuné ; on l’enveloppe d’un drap et on le ramène chez sa mère. C’est lugubre. »
4 juin 1905: « Le moulin est inondé, c’est le ry d’Aine qui a gonflé par une trombe d’eau. La route n’est qu’un torrent, les gens du moulin n’ont eu que le temps de se sauver, l’eau est arrivée comme une barre avec un bruit de chemin de fer. La voie de chemin de fer est détruite. »
Affluent de l’Eau Noire, le ry d’Aine prend sa source à Presgaux à la Bosquette, mais sous le nom de ry Capiau. Il ne porte le nom « ry d’Aine » que sur le territoire de Gonrieux. Il sinue entre Pesche et Dailly où il perd souvent ses eaux dans de nombreux adugeoirs.
Ouvrons une parenthèse à propos de ce moulin. Il a été acquis par les de Villermont en 1862. Situé sur le territoire de Frasnes, mais accolé à leur parc, il est appelé «moulin du pont d’Aine » ou « moulin Liénaux ».
Le 23 février 1914, il est victime d’un incendie ; écoutons la comtesse Henriette nous conter ce triste fait.
« Je viens de communier quand le Père Nicolas s’est approché de moi et m’a annoncé avec circonvolutions que le moulin brûlait. J’ai couru au pauvre moulin, il ne restait plus rien du corps de logis si pittoresque avec son grand toit qui était sur la maison comme un poule sur ses poussins ; toute la salle des machines était déjà brûlée. Le feu a pris vers 2 h ½ du matin. Metens s’est réveillé, le toit enflammé tombait déjà sur le plancher du grenier, il n’eu que le temps de se sauver avec sa femme et ses enfants, l’un a même été brûlé au pied sur l’escalier. Il fait chercher du secours, on a réussi à préserver la salle de la presse et le magasin. De tout le reste, il n’y a plus que 4 murs et un immense pignon du toit qui a un air de doigt menaçant. Nos locataires sont consternés. Les machines n’étaient pas assurées pour leur valeur, et nous-mêmes vu la cherté de la prime, avions diminué l’évaluation, de 16 ramené à 12 000 francs. Nous sommes bien tristes de la disparition de ce vieux souvenirs ».
27 janvier 1914: « Les experts d’assurances viennent pour le moulin. Ils jurent qu’ils me donneront le maximum. On nous accorde 5987 francs. Il faut bien se contenter de ce chiffre. »
29 janvier 1914: « Passé la matinée à surveiller les opérations de l’abattage du pignon. J’ai des frayeurs bleues pour tous ces gens. Le soir vient, le pignon est encore debout. Enfin, il s’écroule dans la maison, sans faire de dégâts. »
6 février 1914: « Au moulin, on avance fort ; on place déjà la charpente ».
Revenons aux aléas du temps.
27 août 1907: « Reçu la demande du comité des fêtes de Couvin de faire partie du jury pour le ‘’Corso fleuri’’ qui doit avoir lieu dimanche. Accepté et envoyé 25 francs en notre nom. »
Mais la pluie vient gâcher la fête.
2 septembre 1907: «Je passe à 6 h 1/2 chez mademoiselle Henry qui est du jury aussi et nous allons sur la place où nous attendent M. Baillon et la musique libérale.On nous donne des papiers à remplir pour le concours. Me Huart, Melle Gouthier puis les jeunes gens des fêtes viennent nous chercher pour aller juge les voitures au départ.Il y a 75 inscriptions, 2 très jolies voitures d’enfants, 2 ou 3 jolies bicyclettes, le restant surchargé de fleurs. Nous précipitons notre examen, car le temps se gâte. Il pleut, nous courons nous mettre à l’abri à l’École Normale pendant que Marie, Madeleine et les enfants de Boussu acceptaient l’hospitalité de l’institutrice. Une demi-heure après, éclaircie puis une deuxième averse m’amenait dans le salon de Pamelard. La pluie continuant, nous décidons d’aller faire notre pointage à l’hôtel de ville où on nous attendait avec du champagne, toasts et remerciements réciproques. Voilà le résultat d’être trop bonne, malgré notre ruine, nos dettes et notre situation de femmes, nous avons reconquis une considération et une sympathie que de l’argent n’aurait pas achetées. »
Le 12e mois de l’année 1917 est le 6e mois d décembre le plus froid su XXe siècle. On connut aussi un Noël blanc ; on n’en compte seulement neuf durant le XXe siècle en dehors du territoire ardennais.
Les demoiselles de Villermont se préparent à quitter le château Saint-Roch vendu à Constant Huart, un marchand de bois. Elles vont aller habiter le château d’Ermeton-sur-Biert. Ce sont des voituriers qui transportent leurs meubles et effets personnels.
24 décembre 1917: « Très froid. Le temps se met à la neige. Il dégèle, il regèle, ce qui fait du verglas ; le soir : neige.»
Mercredi 26 décembre 1917: « Il y a une épaisse couche de neige. »
Vendredi 28 décembre 1917: « Il fait un froid noir, auquel on s’habitue à force de le braver. Il neige à gros flocons. Cependant, vers 6 h, j’entends claquer un fouet. Ce sont nos voituriers qui reviennent d’Ermeton. Ils ont été pris dans une tempête de neige et ont cru que les voitures verseraient. En allant, ils ont eu fort à faire pour grimper la côte de Neuville. Ils ont dû loger à Rosée et sont arrivés à midi à Ermeton, à la stupéfaction de Marie. »
Au début du mois de janvier 1918, les acheteurs défilent chaque jour. De nombreux objets sont mis en vente tels que des miroirs, piano, horloges, meubles … La vente est clôturée le samedi 12 janvier.
Mercredi 16 janvier 1918: « À 6 h, Gustave vient frapper à ma porte pour me dire de ne pas me lever, la cour est inondée, impossible d’aller à la chapelle. La cour est une mer et la chapelle un fleuve alimenté par les masses d’eau de l’étang. Malgré les rafales, nos voituriers partent avec la voiture. On vient m’appeler, elle a versé dans l’entonnoir ; heureusement, le mur de la basse-cour a empêché la chute complète. On ajoute des chevaux, cris et coups de fouets et la grosse voiture se tire de l’ornière où elle avait failli périr. Une partie du pont des Pères est enlevée. Le désastre est grand, mais moins grand qu’il y a 16 ans. »
Jeudi 17 janvier 1918: « Le pauvre Saint-Roch est plus navrant que jamais. La cour, la chapelle et tous les environs sont comme des fonds de torrents. Nous devions partir aujourd’hui, mais Bernis qui devait conduire notre dernière voiture a été réquisitionné par les Allemands ».
Finalement, le dernier déménagement a lieu le 25 janvier.
Ainsi se tourne une page importante de l’histoire de la famille de Villermont aux château et parc Saint-Roch à Couvin.
Christian CONSTANT